Innervisions : 20 ans d’existence, 20 ans de succès ?

Vous ne le savez peut-être pas mais vous avez très certainement déjà croisé le chemin d’Innervisions.

Accro à la musique électronique ? Comment ne pas avoir déjà entendu parler de Dixon ou du duo Âme, présents dans les plus gros festivals.

Fan de de séries et vous avez regardé The Young Pope ? Alors vous avez très probablement adoré la musique du générique, « Levo » de Recondite (2014).

Plutôt concerné par la mode ? Peut-être avez-vous déjà aperçu Dixon (en vert) poser pour Virgil Abloh en 2019 alors Directeur Artistique de Louis Vuitton.

Orienté sport ? Si vous avez regardé la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques de Paris l’été dernier, vous aurez alors entendu Agoria jouer « Scala » (2013).

Ou enfin vous adorez les jeux vidéos ? Vous avez dans ce cas eu l’occasion de gérer une boîte de nuit dans GTA V (Grand Theft Auto) et d’avoir Dixon en guise de DJ résident.

Cette année, le label fête ses 20 ans d’histoire et alors qu’il semble avoir atteint les plus hautes sphères dans tous les domaines artistiques qu’il côtoie, Innervisions continue de maintenir son succès en jouant avec les frontières de l’underground et du grand public.

Comment le trio arrive-t-il aujourd’hui à jouer sur les plus grandes scènes de la musique électronique tout en s’extirpant des diktats que l’industrie musicale impose aujourd’hui aux artistes ?

Le début d’Innervisions

Année 2000, alors que Kristian Bayer tient une boutique de disque à Karlsuhe (Allemagne), il fait la rencontre de Frank Wiedemann. Tous deux passionnés de musique électronique, ils décident de former ensemble le duo Âme qui connaîtra sa première release en 2003 sur le label de Jazzanova, Sonar Kollektiv.

Peu de temps après, Kristian Bayer est DJ lors d’une soirée à Francfort et fait la rencontre de Steffen Berkhahn, alias Dixon, DJ berlinois. Ils se découvrent des goûts musicaux communs et une amitié se crée.

En 2005, Kristian, Frank et Dixon décident de lancer un label ensemble. Innervisions est né.

Innervisions en musique

Les débuts d’Innervisions sont donc marqués par le lancement d’un label. En juillet 2005 sort un premier EP intitulé « Psyche Dance » par Tokyo Black Star, comprenant un edit de Dixon. Le label connaîtra surtout un succès fulgurant dès sa 2e release avec l’EP « Rej » produit par le duo Âme et surtout la track éponyme, jouée à ce moment par tous les DJ de la scène.

Aujourd’hui, IV représente plus de 110 releases (aussi bien des singles, des EPs que des albums) et a produit une multitude d’artistes tels que Marcus Worgull, Henrik Schwarz, Trikk, Recondite, David August, Rampa ou même Laurent Garnier.

Depuis, nombreuses sont les sorties qui connaissent un franc succès dans les clubs : « Epikur » – David August (2013), « Acamar » – Frankey & Sandrino (2015), « Asa » – Âme (2024) ou même encore plus récemment « Raiva » (2025), track issue d’une collaboration de Trikk et Meute, un orchestre reprenant des classiques de la musique électronique s’étant notamment fait connaître presque dix ans auparavant en interprétant « Rej » de Âme, la boucle est bouclée.

Cela sans compter des musiques telles que « Levo » de Recondite, reprise dans le générique de The Young Pope, « Scala » de Agoria jouée durant la cérémonie de clôture des Jeux Paralympiques de Paris 2024, ou même encore les 17 « Secret Weapons » (les Various Artists) qui sortent quasi-annuellement sur le label depuis 2007, ayant permis à plus de 130 artistes de s’exprimer.

En 2021, à l’occasion de la 100e sortie du label (The Witness – Âme), Innervisions souhaite opérer un tournant dans sa manière de concevoir la musique. Jusqu’alors, la presque totalité des musiques sorties sur le label sont destinées à être jouées sur un dancefloor. Dans un souhait de se renouveler, la vision artistique s’oriente de plus en plus vers des albums avec des tracks plus contemplatives et pas nécessairement destinées aux clubs, à l’instar de l’album « Dream House » de Âme sorti quelques années plutôt. Naissent depuis cette réflexion 4 albums : « + » – Jimi Jules (2022), Flora & Fauna – Trikk (2023), Secret Places – Echonomist (2023) ou encore le petit dernier, sorti le 25 avril 2025, Harmonia également de Trikk.

Depuis 20 ans, Innervisions se bat depuis pour défendre la house music dans sa dimension la plus large, sans chercher pour autant à se définir. Et comme le dit si bien la femme de Dixon elle-même :

There is no Innervisions sound.

Ana Ofak

Envie de tendre l’oreille ? On vous a concocté une playlist avec les 15 tracks à connaître !

Innervisions sous toutes ses formes

Innervisions, c’est donc avant tout un label, mais pas seulement.

Depuis 2011, c’est aussi un disquaire, « Muting The Noise ». Les équipes ont fait le choix de devenir indépendant et d’auto-distribuer les vinyles du label mais également de les vendre. Depuis son ouverture, à Berlin, il a été fait le choix de n’être ouvert qu’une fois par semaine (le jeudi) afin de rester un lieu de rencontre entre les passionnés de musique électronique, lieu où ils ont également installé leur studio.

Aujourd’hui, le catalogue de Muting The Noise est vaste. Vous pourrez y commander évidemment vos vinyles mais également y acheter et télécharger de la musique, alternative pour les DJs aux plus connues Beatport et Bandcamp. Si vous êtes intéressés par des labels comme Afterlife (Tale of Us), Moblack Records (Mimmo Falcone), TAU (Adana Twins) ou bien Sum Over Histories (Frankey & Sandrino), vous trouverez votre bonheur chez MTN.

C’est également un spot qui accueille régulièrement d’autres collectifs et labels qui y organisent des releases party, comme en septembre 2024 avec un évènement accueillant le label Running Back, tenu par le génie de la house, producteur et DJ, Gerd Janson.

Sur le site de MTN, on retrouve également toute la discographie du sous-label d’Innervisions, Exit Strategy, dont la première release date de 2015. Depuis, le label a sorti de nombreux EPs avec une pluralité d’artistes tels que Fideles, Ditian, Glowal, Tal Fussman ou même encore Theus Mago. 10 ans après la première sortie, Exit Strategy a fait naître le premier EP « Ausgang 01 » sous format vinyle, avec une compilation de 4 tracks qui ont marqué l’histoire du label et deux tracks inédites.

Innervisions, c’est aussi des évènements. Depuis 2013, ils organisent « Lost In A Moment », nom issu de l’EP éponyme de Matthew Dekay et Lee Burridge (2012), dont le concept est d’organiser des festivals dans des lieux atypiques aux quatre coins du monde avec une première édition à Barcelone, devant un monastère catalan « El Poble Espanyol » et également plusieurs éditions en France, au musée de l’Air et de l’Espace ou bien dans le domaine du château de Saint-Germain-en-Laye.

Enfin, comment parler de la vision artistique du label sans évoquer les pochettes des différentes releases ? Initialement, l’esthétique était d’abord orientée de sorte à mettre en avant le label et l’année de sortie sur le devant avec le nom de l’artiste à l’arrière puis a connu de nombreuses évolutions au fur et à mesure des années, inspirée parfois par la photographie abstraite, d’autres fois par le collage en passant par la poésie concrète et bien d’autres choses…

Innervisions, aux portes du commercial ?

Au-delà de ces évènements organisés par Innervisions directement, nous retrouvons depuis des décennies les membres du collectif au quatre coins du monde : les DJs sont bookés dans les plus gros clubs de la planète et sont des têtes d’affiches dans les festivals les plus renommés : Amsterdam Dance Event (ADE), Dour, Peacock Society, Nuits Sonores, Tomorrowland, Cercle, Rakastella pour ne citer qu’eux. Innervisions devient de plus en plus bankable (rentable) pour les promoteurs et les artistes du collectif sont invités tous les week-ends au quatre coins du monde. D’ailleurs, le collectif « Clean Scene » publie en 2021 un rapport sur l’impact environnemental des tournées des DJ de la scène électronique ainsi qu’un classement des DJ par leur empreinte carbone. Sans aucune surprise, les patrons d’Innervisions se trouvent parmi les plus polluants du globe.

En parlant de classement, le site Resident Advisor publie en 2017 un communiqué : ils arrêtent le Top 100 des DJ, classement existant depuis 2006 et qui plaçait Dixon depuis 4 ans au rang de numéro 1. L’origine de la démarche tenait dans une volonté de mettre en avant des artistes de la scène underground en faisant voter les contributeurs de Resident Advisor au sujet de la scène locale. Le média ayant pris une place de plus en plus importante au sein de la scène et ayant évolué vers une plateforme d’achat/revente de ticket pour des évènements de plus en plus internationaux, le classement a commencé à avoir un impact sur le booking de certains DJs et a considérablement fait augmenter les cachets des artistes. Dixon ne représentait alors plus suffisamment la scène underground et le classement avait perdu son sens.

Innervisions, 20 ans d’existence, 20 ans de succès ?

La prospérité d’Innervisions depuis 20 ans repose-t-elle donc sur sa capacité à se diffuser dans la scène électronique depuis tant d’années avec des releases qui alimentent les clefs USB ou les backs de vinyles de nombreux DJ de la scène underground ? Ou bien à sa présence dans les lieux les plus commerciaux de la musique électronique ? Les deux.

La résidence de Dixon en 2019 au Pacha à Ibiza en est la preuve.

Cette île réputée pour être à la fois au centre de la dance culture et des soirées les plus commerciales du moment, a été l’occasion pour Dixon de démontrer son souhait d’embrasser la modernité sans se conforter à l’existant. Avec ses équipes, ils ont pensé la résidence différemment : mettre le DJ au centre de la scène et non plus en face du public. Dans une volonté de repenser cette scène, le projet « Transmoderna » est né. Il s’agit d’un collectif d’artiste, dont la directrice artistique est Ana Ofak, femme de Dixon, mêlant visuels et musique, sous de multiples formes, tant pour des évènements que des expositions.

Ce projet a donné lieu à une collaboration avec Boiler Room en 2023, au Printworks à Londres, peu avant sa fermeture, dans laquelle Dixon n’apparaît quasiment pas (environ 5 minutes sur 1 heure), ce qui relève d’une exception puisqu’il s’agit là du concept premier des Boiler Room. La vision du projet se reflète bien dans cette phrase de Dixon, alors interrogé par un média (retrouvez l’interview complète ici : Dixon – Groove Podcast 400) sur son rapport aux téléphones durant les évènements :

C’est simplement le reflet de notre époque et de notre rapport aux médias. Il n’est pas possible d’y remédier. Ce que je me demande, c’est s’il n’y a pas moyen d’utiliser la technologie pour influencer notre perception, pour que les gens s’abstiennent automatiquement de sortir leur téléphone.

Finalement, dans son approche artistique globale, Innervisions ne cherche pas à se définir et produit des artistes ayant des influences très différentes. Le label ne s’est jamais enfermé dans un carcan sonore et n’a fait que de promouvoir la house music sous toutes ses formes, sans se soucier de sa dimension underground ou commerciale. La versatilité des projets musicaux qui ont marqué le label n’ont cessé d’évoluer au cours de ses 20 ans d’existences permettant de toucher à la fois un public de niche et le grand public.

Innervisions organise d’ailleurs une tournée mondiale pour ses 20 ans. Le premier arrêt a eu lieu à Barcelone début avril, le second aura lieu à Lisbonne. Aucune date en France n’a pour l’instant été communiquée mais nous sommes convaincus qu’ils ne manqueront pas de passer par chez nous, tenez-vous prêt…!

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