La Musique Électronique en Pleine(s) Forme(s) : Benjamin Fröhlich & Permanent Vacation

Si la musique occupe une place essentielle dans ma vie depuis ma plus tendre enfance, mon intérêt pour la musique électronique plus “underground” – hors des radars évidents du mainstream, disons – ne s’est lui manifesté que bien plus tard. 

Benjamin Fröhlich – source : www.sweatlodgeagency.com

J’entamai ce nouveau chemin lorsqu’un ami me fit découvrir en 2011 la minimale allemande et certains de ses représentants, confirmés et émergents, notamment à travers les productions de Paul Kalkbrenner, Solomun ou Stimming.

Ma relation à la musique venait de changer. Mon esprit était désormais dévoré par une délicieuse obsession : celle de traquer – les petits malins diront tracker – les morceaux originaux, uniques ; je recherchais une bande originale à mon propre film, à mon quotidien, vécu ou rêvé… Non, définitivement, ce n’était plus seulement la musique électronique qui m’intéressait. Je voulais des textures, des formes, des paysages. Des scènes… et leur décor. 

Promenade en Italie

Et c’est toujours animé par cet ardent désir de voyage et de nouveauté que je découvre huit ans plus tard, par la magie de l’informatique et des algorithmes – bien boomer ça -, l’univers du producteur allemand Benjamin Fröhlich. Je tombe nez à nez avec son titre “Tivoli”, qui me provoque en duel. Je clique sur “play”. Le temps passe beaucoup trop vite. Je renouvelle l’opération une vingtaine de fois. Je remercie la vie pour tant de beauté.

Bonne nouvelle : “Tivoli” – du nom d’une sublime ville à l’est de Rome – n’est que l’arbre qui cache la forêt. Une forêt luxuriante en l’occurrence. Nous sommes donc en 2019, et voici “Amiata” son premier album. 

Il semble que les paysages italiens ont profondément inspiré l’artiste. Je découvre finalement qu’il s’agit de l’une des régions du monde dans lesquelles Benjamin a grandi, et que son frère y vit encore aujourd’hui. Du Monte Amiata – qui a inspiré le titre et la pochette de l’album – à Pompéi, de Tivoli aux thermes de Saturnia, le tout éclairé par les nuances dorées d’un soleil massif, et accompagné du chant des cigales… “Amiata” est une magnifique immersion en neuf étapes. 

Cette première expérience auditive auprès du producteur allemand m’avait convaincue, et j’étais loin d’être rassasié.

Munich Calling

Benjamin Fröhlich est né à Munich. Artiste plutôt discret lorsqu’il est loin de ses decks – je n’ai trouvé que peu d’interviews de lui sur la toile -, son parcours et ses quelques rares interventions démontrent en revanche, et à chaque fois, un mode de vie musico-centré :

“J’écoute beaucoup de musique et j’essaie toujours de trouver de nouveaux morceaux. Je fais souvent cela la nuit, quand tout autour de moi est devenu silencieux. C’est à ce moment-là que je découvre les meilleures tracks, et je suis parfois tellement excité par mes sessions de digging que je ne peux plus du tout m’endormir.”

Là vous allez me dire : “Ok Pedro, tu es bien gentil, mais rien de nouveau sous le soleil. Il est DJ, il est passionné, et il recherche des nouvelles pistes pour ses sets… C’est le propre de tout DJ.” Et là je vous répondrai, dans un premier temps “Merci” de me dire que je suis bien gentil. Et dans un second temps : est-ce que tous les DJs sont aussi disquaires ? Car oui, entre deux gigs, Benjamin s’est pendant longtemps occupé d’une boutique munichoise, sobrement et efficacement nommée “Play Records”. Y travaillant d’abord en tant qu’employé, il a repris l’affaire au moment où les gérants voulaient, eux, la lâcher.

Nouvelle preuve de son amour inquantifiable pour la musique, cette ligne sur son CV témoigne aussi d’une culture musicale dense, et d’influences conséquemment diversifiées. Celles-ci se répercuteront plus tard, évidemment, sur sa propre musique. En parlant de son album Amiata, il explique :

“Pour moi, l’album tout entier est plus ou moins la quintessence de toutes mes influences musicales – du reggae, dub, hip-hop, drum and bass, jusqu’à la disco, la new wave et la house”

Benjamin Fröhlich – source : edmwaves.org

Et cette passion, il la partage, la transmet et la propage depuis très longtemps en réalité. C’est ainsi que, tout naturellement et avant même de produire sa propre musique, Benjamin Fröhlich avait déjà un autre projet d’envergure en tête… Mais écoutez plutôt l’intéressé :

“L’un des avantages quand tu diriges un label, c’est que tu as l’occasion de découvrir encore plus de musique, et donc d’enrichir tes DJ sets.”

D’une logique implacable.

Vacances Permanentes

Avec son partenaire Tom Bioly (lui aussi producteur), Benjamin monte donc en 2006 le label Permanent Vacation – “PermVac” ou PV, pour les intimes que vous serez bientôt. Et avec presque vingt ans de recul désormais, je l’affirme haut et fort (retenez-moi, je prends des risques inconsidérés) : ce fut une fort belle décision.

Derrière ce nom évocateur, nous sommes promptement invités à nous joindre à un imaginaire des plus agréables. Mais ce qui rend ce label si spécial et précieux à mes oreilles, c’est d’abord la richesse de ses sorties et la diversité de ses influences. Quand je tombe sur une nouvelle release de PermVac, je ne sais absolument pas ce que je m’apprête à déguster. Certes, Beatport étiquettera tel ou tel morceau d’“Indie Dance”, d’”Electronica” ou de “House”.  Et, déjà, croiser autant de genres sur un label est, disons le, assez rare et bienvenu… qui plus est lorsqu’ils sont mélangés les uns avec les autres.

Mais en réalité, Permanent Vacation, c’est plus que ça. Alors, sortez les violons et les étincelles (froides) : place aux éloges. PermaVac est une maison rassurante, enveloppante et audacieuse, qui, à l’image de ses deux fondateurs, laisse ses créateurs et ses auditeurs libres de barrières à l’entrée, de codes musicaux prédéfinis à machinalement respecter. C’est sincère, c’est authentique et c’est ouvert. Et même si je ne suis pas initialement moi-même un fervent adepte d’Indie Dance par exemple, ce sont cette liberté de naviguer entre les courants musicaux et cette légèreté dans l’approche qui m’ont rapidement séduits. Une véritable bouffée d’air frais en somme. Benjamin précise d’ailleurs :

“En ce qui concerne Permanent Vacation, j’espère vraiment continuer à agir en tant que label indépendant, et ne pas avoir à faire de compromis pour sortir de la musique. Je veux que ces sorties soient pertinentes non seulement de nos jours, mais aussi dans le futur.”

Benjamin Fröhlich – source : www.fazemag.de

Lors d’une interview en 2019, un journaliste évoque justement cet éclectisme : “Permanent Vacation n’est pas le label de genres clairement établis, mais plutôt un endroit qui les mélange, et parfois même qui les casse.”

Benjamin Fröhlich s’explique :

“Je crois en effet que mon album [Amiata, ndlr] pourrait être classé sous les appellations dub, house, italo, electro, cosmic, boogie et même un peu leftfield si vous voulez. C’en sont les genres principaux, mais j’aime quand ces genres sont mixés en dubhouse, italoelectro, cosmicboogie, etc… Je ne suis pas vraiment un puriste en ce sens, et j’ai plutôt toujours été fan d’un mélange des genres bien amené. Je crois que cette approche tient ses racines des compilations cosmic que j’écoutais adolescent. Elles rassemblaient des titres de genres multiples comme la new wave, le krautock, la world music, le reggae ou le balearic beat, et les titres étaient mélangés de manière à ce que vous ne sachiez pas ce qui arrivait après. Cette approche a été d’une influence vitale pour moi, non seulement pour mon album, mais aussi pour tout mon être musical.”

L’Amour, enfin.

Mai 2024. Sur mon fil d’actualités musicales, je vois apparaître cette pochette bleue nuit, sur laquelle deux silhouettes tracées d’or se font face, comme attirées magnétiquement l’une par l’autre. L’artwork, des plus intrigants, est explicitement stylisé eighties. Son bleu est soigneusement délavé, comme pour lui donner un effet suranné. Cette pochette est cosmique, hypnotique… et disco. 

Il s’agit du dernier fait d’arme – étrange expression, je vous l’accorde, lorsqu’on parle d’une œuvre dédiée à l’Amour – de Benjamin Fröhlich. Les grosses lettres en relief rouges nous indiquent le programme : “The Love Dilemma”. Et après une première écoute complète des dix titres du LP, un constat, fatal et impitoyable, s’impose : c’est une merveille. Six des dix pistes atterrissent immédiatement dans mes sélections préférentielles, et certaines ont une allure de classiques en devenir. 

Comme si cela ne suffisait pas – et effectivement, cela ne suffisait pas -, Benjamin a voulu prolonger le plaisir et densifier cet Hymne à l’Amour (et à sa complexité) en rameutant quelques petits camarades, afin de nous envoyer plusieurs salves de remixes tout autant réussis. Remixes ou remixs d’ailleurs ? Pain au chocolat en tous cas.

Quelle transition mes amis, pour évoquer enfin plus largement les très jolis noms que la famille Permanent Vacation a déjà su attirer en son sein ! Pour ne citer qu’eux : Mano Le Tough, Red Axes, Fort Romeau, Konstantin Sibold, John Talabot, Sascha Funke, Musumeci, Marcel Dettmann, Anja Schneider ou encore Massimiliano Pagliara… Et cette liste n’est évidemment pas exhaustive.

Alors certes, il me sera difficile d’écouter les milliers de sorties du label répertoriées sur les plateformes en ces quelques sessions d’écriture. J’ai néanmoins feuilleté compulsivement le catalogue, défilé mon curseur sur plusieurs centaines de pistes, et ai trouvé au moins trente pépites, que voici.

Bons voyages.

Benjamin Fröhlich – source : dice.fm

30 Coups de Cœur chez PermVac

Pas rassasié ? Alors voici un de ses DJ sets récents, entouré du carrelage blanc le plus célèbre de la musique électronique :

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