Si Lyon ou Marseille peuvent, dans une certaine mesure, rivaliser avec les multiples événements parisiens, le reste de la France semble de prime abord faire office de désert culturel. Vraiment ?
Lorsqu’on évoque la musique électronique en France aujourd’hui, elle est indéniablement centralisée sur Paris à travers ses clubs innombrables et de ses programmations XXL. Tout au long de l’année, la capitale accueille des têtes d’affiche de renommée internationale. Elle jongle entre une techno brute et intense et une house plus subtile, affirmant son statut de capitale culturelle. D’autres grandes villes comme Lyon et Marseille – à une échelle déjà bien plus modeste – bénéficient aussi d’une proposition musicale forte à travers des clubs ancrés dans les centres-villes. Et ailleurs ?
Sacré Français !
À l’échelle du pays, de nombreux clubs ont embrassé cette musique, certains pour sa tendance, d’autres par conviction, peu importe. C’est une force et une chance qu’il faut absolument mettre en avant. Comment ne pas louer le travail du Macadam ou du Warehouse à Nantes ? Celui du Bikini et du Poney Club de Toulouse, le Spot Club à Rouen, le Slalom de Lille, la Belle Électrique et L’Ampérage à Grenoble ? Bref, la liste est au final assez longue et réconfortante pour les amoureux de musique électronique de ces villes. Des clubs qui, au quotidien, invitent des artistes de renom, travaillent avec des collectifs, proposent des mini festivals. Oui mais…

La mort des clubs
Une triste réalité économique est là et nous oblige à nuancer cette carte réjouissante : les clubs se meurent. En baisse constante depuis des années, ils sont aujourd’hui en grand danger, décimés par l’après-COVID. Nouvelle manière de faire la fête, inflation et insécurité ont transformé la vie culturelle nocturne.
Ne soyons pas entièrement défaitistes, les clubs font tout pour résister et aller de l’avant. Le label Club Culture est né, à l’initiative du DJ David Asko. Il a permis de mobiliser les professionnels de la nuit pour faire valoir aux yeux des institutions l’importance culturelle des clubs et permettre la création d’un label Club Culture.

« Les Clubs Culture ne sont pas que des espaces festifs. Ce sont des lieux où naissent les tendances musicales, où émergent de nouveaux talents et où se construit une partie de notre patrimoine culturel. » – Simon Boisson – Associé Gérant Warehouse Nantes
Mais l’économie de ces lieux reste en péril et nombre d’entre eux ne peuvent pas porter leurs ambitions aussi haut et fort qu’ils le souhaiteraient, malgré nombre d’initiatives louables. Ils sont tout simplement limités par leur jauge, la hausse exponentielle des cachets d’artistes, celle des prix de l’énergie ou le désintérêt d’une partie du public pour ce mode de sortie. Enfin, et bien sûr, des villes plus petites traduisent, un public en moins grand nombre qu’à Paris.
C’est tout cela qui produit ce sentiment d’une scène parisienne bouillonnante dotée de dizaines et dizaines de clubs, et le reste d’une France plus timide, sans tête d’affiche, et surtout avec beaucoup moins de diversité musicale dans les programmations. Il y a évidemment quelques exceptions et collectifs locaux qui travaillent à faire vivre des scènes Deep, Breakbeat, EBM, etc. Leur engagement est précieux et se doit d’être souligné, mais il met en lumière toute la difficulté à faire vivre des scènes de niches localement.
Un ensemble qui mène à un constat global : hors festival, combien d’artistes internationaux n’ont connu que Paris pour se produire depuis 5 ans ? Attention, nous ne parlons pas du haut panier de DJ stars, mais d’artistes suivis, réputés pour leur musique et leur force de proposition artistique. Combien d’artistes locaux ne peuvent pas rester dans leur ville natale, car trop peu de clubs leur permettent de jouer régulièrement tant les DJs sont de plus en plus nombreux et les clubs de plus en plus rares ? Alors, quelle solution pour résorber ce phénomène ?

Décentraliser la Techno
C’est-à-dire ? Ne pas limiter et réserver les événements variés à Paris ou quelques villes, voilà les enjeux de la décentralisation. Pourquoi ? Pour ne pas exclure les publics des villes moyennes, petites, de la campagne, de la montagne. La culture de la musique électronique se doit d’être représentée de partout sur le territoire le plus équitablement possible.
C’est aussi rendre accessible la culture sans se déplacer outre mesure, chose essentielle d’un point de vue écologique, mais aussi et surtout face à la réalité d’un coût de la vie toujours plus important, où la moindre sortie représente un budget ! Si vous ajoutez à cela le prix des transports qui s’envolent, c’est toute une jeunesse qui se retrouve exclue.
Évidemment, en dehors des grandes villes, les tailles des publics se retrouvent limitées et obligent à réfléchir différemment une programmation et un concept. C’est tout un tas d’obstacles qui apparaissent : accessibilité en transports, potentiel de fréquentation plus bas, et même trouver des lieux qui attirent les artistes.
C’est dans ce contexte que les collectifs innovants et les clubs doivent se rencontrer. Repenser leur collaboration pour dynamiser la vie nocturne, et pourquoi pas diurne ? Ironiquement, face à un désert culturel qui menace, le salut d’une musique électronique décentralisée pourrait bien se trouver dans l’un des fossoyeurs mêmes des clubs : les festivals.

Le dynamisme renouvelé
Plus que jamais, comme un retour à la naissance de la rave, il faut une scène qui s’unit et se complète. Les besoins d’espaces en plein air et la quête d’authenticité du public poussent les promoteurs à poser leurs valises dans des plus petites villes. Ils doivent aller chercher une reconnexion, loin des grandes agglomérations, souvent déjà prises par des structures plus anciennes. Les clubs ne sont plus le seul moyen de faire la fête. Les festivals de plus en plus nombreux apportent un vrai dynamisme à cette musique accélérant la mutation des formats et de l’expression artistique. Le format de jour est aussi une nouvelle manière de faire la fête, moins excluante face aux difficultés de locomotions et de transports en commun.
Il est essentiel de ne pas laisser au dépourvu une jeunesse en construction, et les festivals sont peut être la meilleure alternative à ce jour, si tenté qu’ils se développent en harmonie et de manière complémentaire dans les territoires.
A ce titre un triangle vertueux et inspirant semble se dessiner en Auvergne-Rhône-Alpes. Si l’historique Nuits Sonores est solidement attaché au territoire lyonnais, il n’est aujourd’hui plus le seul à représenter sa vision des musiques électroniques dans le département et ses alentours. À une heure de route, Saint-Étienne s’émancipe avec son Positive Education. Grenoble, noyau de l’électroclash à la française, verra cette année la 2ᵉ édition de son Ultra Virage. Un événement mettant à l’honneur les cultures techno, hardgroove, mais aussi UK, et bien sûr ses talents locaux et internationaux ! Implantés non pas comme des adversaires, mais de manière complémentaire, ce saint triangle offre des perspectives XXL à la région. Loin d’un esprit de concurrence, ces structures travaillent en intelligence pour assurer un avenir culturel au bassin rhônalpin. Une nécessité en ces temps difficiles.
Une réalité appréciable, mais qui ne peut s’adapter de manière magique à chaque département. Tous sont empreints d’histoires, de dynamiques et de ressources différentes. Sacré casse tête n’est-ce pas ?
A travers sa constitution monocéphale, la France est un pays qui est déséquilibré. Paris centralise beaucoup de choses et les grandes métropoles ont une dynamique hétérogène. Et la musique électronique ne manque pas à cela. L’histoire de France est faite de multiples passages et notre pays est un territoire de mixité et de rencontres. Dans ce contexte, la culture apparaît comme un ciment essentiel de notre société et il apparaît comme primordial que l’accès à la culture, sous toutes ses formes, se fasse de la manière la mieux répartie possible. En effet, il est difficile de développer les curiosités, les rencontres, l’acceptation de la différence si les différents territoires ne sont pas logés à la même enseigne.
Créer plus de lieux de diffusion et de structures d’accompagnement proches des territoires est un enjeu de taille car les moyens ne sont pas toujours les mêmes selon les régions/zones en France et les difficultés inégales.
Reda – Programmateur Ultra Virage Grenoble
Plus que jamais, la décentralisation de la culture est primordiale. Elle ne doit pas se faire contre Paris, mais en collaboration avec les dynamiques de la capitale, adapté à chaque territoire et ses spécificités. À l’heure des tendances, de l’ère des réseaux sociaux, la culture électronique se doit de s’adapter intelligemment pour garder son engagement et ses racines. S’adresser à un public rural est une nécessité. C’est avec ce public qu’émergeront des visions différentes, et des esthétiques complémentaires aux grandes villes.
Ce travail est évidemment colossal et difficile. Il passe par la concertation des promoteurs, des artistes et des territoires. Des initiatives naissent, se dessinent, et plus que jamais elles ont besoin de visibilité pour inspirer et dessiner le futur.